Au Mexique, les résistances féministes face aux violences de genre
Claudia Sheinbaum vient d’être élue première femme présidente dans l'histoire du Mexique, en juin 2024. Cette climatologue, ancienne membre du GIEC, est membre du parti Morena, le Mouvement de Régénération Nationale. Sheinbaum compte s'inscrire dans la lignée de son prédécesseur, Andrés Manuel López Obrador, en poursuivant ses politiques sociales, tout en entreprenant la transition écologique et en garantissant les droits des femmes au Mexique. Comment Sheinbaum va-t-elle s’y prendre pour combattre le fléau des violences de genre et des féminicides, dans un contexte particulièrement troublé, notamment en matière de crime organisé et de politiques migratoires ? Quel regard les mouvements féministes au Mexique portent-ils sur le bilan de cette ancienne cheffe du gouvernement de la ville de Mexico, de 2018 à 2023 ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous avons eu l’honneur d’interviewer la militante féministe Alexia Prado et Karine Tinat, enseignante-chercheuse au Centre d’Études Sociologiques et au sein du Programme Interdisciplinaire d’Études sur le Genre au Colegio de México. Au cours d’un riche entretien mené par Sylvie Argibay et Paloma Petrich, nous avons discuté de la législation actuelle sur le féminicide au sein des États-Unis mexicains et des politiques de lutte contre les violences de genre en vigueur. Les points de vue de nos deux invitées nous ont offert un aperçu de l’éventail de réactions qu’a suscité l’élection de Sheinbaum parmi les collectifs féministes, oscillant entre attentes fortes mais prudentes et relatif scepticisme quant à l’espoir d’une amélioration prochaine de la situation.
Afin d’élargir le regard, les chroniqueuses de Semillas Latinas se sont intéressées à des publications, des artistes, des expositions, des pratiques sociales et des initiatives politiques ayant trait à la situation des femmes au Mexique, de nos jours, mais aussi au siècle passé, ainsi qu’à des périodes fort anciennes...
Paloma Petrich et Astrée Toupiol proposent de jeter un coup d’œil sur la place des femmes et des minorités de genre dans l’espace public au Mexique. En observant les mesures mises en place ces dernières années par les pouvoirs publics, comme le dispositif Senderos Seguros et les rames de métro réservées aux femmes et aux enfants aux heures de pointe, elles questionnent leur efficacité sur la sécurité et dans la lutte pour prévenir ces violences. Au-delà des politiques publiques, les moyens et les stratégies que ces personnes développent pour exister et s'approprier l’espace public sont mis en lumière, à l'instar des travaux communautaires, des associations de quartier et des mobilisations de masse dans la rue. Dans un pays où 10 femmes sont assassinées chaque jour, il est urgent de visibiliser leur vécu et que la ville devienne le réceptacle des luttes et des forces féministes plutôt que celui des agressions.
Un narco-récit mêlant poésie, roman noir, essai et enquête journalistique haletante au cœur de l’épicentre des féminicides de masse au Mexique : c’est là que vous emmène Manon Méziat dans sa chronique littéraire consacrée à l’ouvrage Des Os dans le désert de Sergio González Rodríguez (2002). Cette enquête menée par le journaliste sur les meurtres de femmes en série perpétrés entre 1990 et 2003 à Ciudad Juárez, dans l’État du Chihuahua, frontalière d’El Paso aux États-Unis, constitue une vibrante quête de justice en même temps qu'un hommage. Plongez dans les entrailles de cette ville, véritable « twilight zone » où s’entremêlent, dans un cycle de violence implacable, haine des femmes, trafic de drogue et classe politique corrompue jusqu’à l’os – jusqu’aux os de ces femmes dans le désert.
Pauline Rossano vous invite à redécouvrir une icône de notre temps, Frida Kahlo. Embarquez pour une exploration imaginaire de la Casa Azul, la demeure emblématique des Kahlo à Coyoacán, à travers une exposition contée ! Un florilège d’œuvres, de lettres et d'objets, tels que sa collection de vêtements traditionnels indigènes, symptomatique d'un fort engagement politique de l'artiste, permettent de penser autrement sa vie, son identité et ses combats. Le parcours hors normes de Frida Kahlo a engendré un mythe puissant, parfois stéréotypé et instrumentalisé au point de trahir les convictions politiques de l'artiste et d'en tordre l’héritage, auquel nous avons souhaité rendre hommage.
Pour finir, Anael Michel vous propose de remonter le temps, 600 ans en arrière, afin d'imaginer ce qu'étaient la vie des femmes et la conception du féminin à México-Tenochtitlan. C'est un des angles-morts de l'exposition « MEXICA, des dons et des dieux au Templo Mayor », présentée au musée du quai Branly d’avril à octobre 2024. La place des femmes dans cette société théocratique, classiste et guerrière vous est révélée au fil des étapes charnières de leur existence, depuis la naissance jusqu’à la mort, en passant par les années d’éducation, le mariage, l’accouchement et parfois, le sacrifice. Une histoire intime et sociale de la civilisation mexica, aux traditions culturelles et religieuses genrées, qui a fait couler beaucoup d’encre… et pas que.
Vous écouterez, tout au long de l’épisode, les morceaux entêtants d’autrices-compositrices-interprètes mexicaines incontournables d’hier et d’aujourd’hui : « María la Curandera » de Natalia Lafourcade, « Canción sin miedo » de Vivir Quintana, et « Piensa en mí » de Chavela Vargas.
Cette émission a été réalisée par Mickaël Adarve, que nous remercions chaleureusement.