Bookmakers est le podcast littéraire qui écoute les écrivain.e.s détailler leurs secrets d’écriture, les coulisses de fabrication de leurs livres majeurs, leurs...
Viser juste
Sa parole est tranchante et son regard, lucide. À la sortie en 2018 aux éditions du Seuil du « Syndrome du varan », son premier livre de littérature « générale », Justine Niogret disait : « C'est que dalle de tuer un dragon avec une épée. Ça l'est beaucoup moins d'essayer d'être heureuse. Tuer un berserker, ces guerriers fauves et surpuissants que l’on trouve dans les grands manuscrits de la mythologie nordique, ce n'est souvent que la première épreuve ; la véritable histoire commence après. Tuer une partie de soi pour avancer, c'est bien pire. Je les ai tués, mes dragons. »Dans cet inoubliable roman « post-traumatique » de 180 pages, l’autrice raconte le cauchemar quotidien d’une fille qui subit, de la part de ses parents et jusqu’à ses 17 ans, négligences et maltraitances, famine et humiliations, violences physiques, sexuelles et psychologiques. « L’angoisse et la méfiance » deviennent alors ses « états naturels » ; « J’ai fait ma guerre, et elle a été longue. » En résulte cette pierre de colère froide, semblable aux grands lézards indonésiens, à propos de laquelle l’écrivaine Chloé Delaume affirma : « Récit d’une enfance saccagée, où la puissance de l’écriture fait acte de résilience. » Justine Niogret pense presque toujours que les mots, quand ils sont dits, sont « lourds et maladroits – comme des dindons, face aux rapaces et aux aigrettes que sont les mots écrits. Ce silence de réflexion, elle le trouve « totalement dénué d’agressivité, d’ego, de masques et de preuves à apporter » ; tout ce qu’elle reproche à l’oral.Quand elle était petite, elle voulait être « exploratrice » mais à l’époque, elle a eu « un immense chagrin en comprenant que tout était déjà cartographié ». Dans ce troisième et dernier épisode, nous sentirons pourtant combien ses mondes semblent infinis. En parcourant les mangroves de « Bayuk », ce roman d’aventures pour ados publié en 2022 aux éditions 404, en traversant l’éprouvante banquise de « Quand on eut mangé le dernier chien », sorti en 2023 aux éditions Au Diable Vauvert et vendu à 4000 exemplaires, ou en attendant sa version de l’histoire de Calamity Jane, focalisée sur la femme oubliée derrière la légende héroïque. De jour comme de nuit, Justine vise juste.L’autrice du mois : Justine NiogretNée à Paris en 1979, Justine Niogret « trouve les adultes assez fragiles : il suffit d'avoir des chaussettes dépareillées pour leur faire peur ». Depuis le coup d’estoc de son roman médiéval « Chien du heaume », Grand Prix 2010 de l’Imaginaire au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo, elle enchaîne les aventures comme autant de conquêtes sur les littératures de genre : fiction postapocalyptique (« Gueule de truie »), dystopie robotique (« Cœurs de rouille »), péripéties vaudous (« Bayuk ») ou tragédie polaire (« Quant on eut mangé le dernier chien »), dans le sillage de Tolkien, Lovecraft ou Margaret Atwood. Elle vit et travaille à Quimper.
Enregistrement novembre 2024 Mise en ligne 29 janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Isild Le Besco Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Flûte, vielle à roue, tambours Grégoire Terrier Illustration Sylvain Cabot
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Justine Niogret (2/3)
Chien de la castagne
C’est une mercenaire redoutable de 24 ans, incorruptible et loyale, « au museau aussi noir que celui des bêtes », qui pour ses faits d’armes « se fait payer en lits d’auberge, en nourriture, en contes aussi ». La première héroïne inoubliable de Justine Niogret se fait appeler « Chien du heaume » et donne son titre à son premier roman publié, sorti aux éditions Mnémos en 2009. Une mercenaire en quête d’identité, dont la hache de guerre est logée dans le creux de ses reins, qui loue son bras au plus offrant et choisit ses missions au gré de routes dans un XIIe siècle français de boue, de sang et de pluie drue. Dans un monde idéal, ce bouquin lyrique et brutal aurait déjà été adapté en série télévisée pour devenir notre « Game of Thrones » hexagonal, cependant dénué de magie.Comme son alter-go, Niogret confesse avoir « une grande rage intérieure – et beaucoup d'espoir aussi ». Elle ne croit pas « aux dragons, aux boules de feu et aux méchants sorciers. Plutôt : « au désir, à la foi, aux morts au combat qui retrouveront leur famille au paradis. » Cette fable initiatique moyenâgeuse se vendit tous formats confondus à 13 000 exemplaires et eut une suite en 2011, intitulée « Mordre le bouclier ». Un troisième roman de fer et de fracas, « Mordred », sur l’assassin du roi Arthur, publié en 2013 et vendu à 2500 exemplaires, boucla la boucle de sa ceinture de cuir. Dans ce deuxième épisode consacré à l’art « cru » de Justine Niogret, il sera aussi question de son écriture « de premier jet, sans plan, jamais relue », d’un ignoble cheval-araignée tiré de son roman « Gueule de truie » (Critic, 2013), de la joie des jeux de rôle qu’elle fut l’une des rares femmes en France à pratiquer dès les années 90, de sa pratique de la forge, de sa cotte de mailles ou d’un insupportable casque de gladiateur romain. Avé Justine !L’autrice du mois : Justine NiogretNée à Paris en 1979, Justine Niogret « trouve les adultes assez fragiles : il suffit d'avoir des chaussettes dépareillées pour leur faire peur ». Depuis le coup d’estoc de son roman médiéval « Chien du heaume », Grand Prix 2010 de l’Imaginaire au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo, elle enchaîne les aventures comme autant de conquêtes sur les littératures de genre : fiction postapocalyptique (« Gueule de truie »), dystopie robotique (« Cœurs de rouille »), péripéties vaudous (« Bayuk ») ou tragédie polaire (« Quant on eut mangé le dernier chien »), dans le sillage de Tolkien, Lovecraft ou Margaret Atwood. Elle vit et travaille à Quimper.
Enregistrement novembre 2024 Mise en ligne 29 janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Isild Le Besco Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Flûte, vielle à roue, tambours Grégoire Terrier Illustration Sylvain Cabot
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Justine Niogret (1/3)
Fuir les loups sous l’orage
Frappez tambours et sonnez trompettes, damoiselles et damoiseaux ! En l’an de grâce 2025, il n’est point trop tôt pour ériger, de son vivant, dans quelque forêt de Bretagne, une statue à l’effigie de Justine Niogret. Dans le castelet de ses 45 ans, déjà neuf romans, une cinquantaine de nouvelles, des scénarios de jeux de rôles, des traductions de jeux de plateau ou une biographie de son fantastique maître horrifique Stephen King. « J’écris beaucoup de choses hostiles, souvent champêtres, avec des menaces, de l’effort et des personnages fiers de leurs cicatrices », dit celle qui se décrit parfois comme « une horrible geek de la plus belle eau ». Mais comment cette grande myope obsédée par les Vikings façonne-t-elle ses univers de cauchemar ?Dans ce premier épisode consacré aux origines du « petit ogre » du Finistère, arpentons les couloirs hantés de sa tour sombre, où errent à grand bruit les cavaliers du « Seigneur des Anneaux », où bave un saint-bernard enragé, où résonnent ses sonnets enfantins sur les guerres napoléoniennes ou les déboires sentimentaux de la série « Madame est servie » qui lui inspira une pièce de théâtre. Comment naquirent les inquiétantes nouvelles d’« Et toujours le bruit de l’orage » (2008), rééditées sous le titre « Vers le pays rouge » (éditions Rivière Blanche) ? Gagner sa vie dans sa jeunesse à coudre des vêtements du Moyen-Âge est-il un atout pour, ensuite, tricoter des récits de chevalerie ? Place au paladin Justine Niogret, revigorant archer verbal que nul·le, désormais, ne saurait ignorer.L’autrice du mois : Justine Niogret Née à Paris en 1979, Justine Niogret « trouve les adultes assez fragiles : il suffit d'avoir des chaussettes dépareillées pour leur faire peur ». Depuis le coup d’estoc de son roman médiéval « Chien du heaume », Grand Prix 2010 de l’Imaginaire au festival des Étonnants voyageurs de Saint-Malo, elle enchaîne les aventures comme autant de conquêtes sur les littératures de genre : fiction postapocalyptique (« Gueule de truie »), dystopie robotique (« Cœurs de rouille »), péripéties vaudous (« Bayuk ») ou tragédie polaire (« Quant on eut mangé le dernier chien »), dans le sillage de Tolkien, Lovecraft ou Margaret Atwood. Elle vit et travaille à Quimper.
Enregistrement novembre 2024 Mise en ligne 29 janvier 2025 Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Isild Le Besco Réalisation, mixage Charlie Marcelet Musiques originales Samuel Hirsch Flûte, vielle à roue, tambours Grégoire Terrier Illustration Sylvain Cabot
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48:09
Mona Chollet (3/3)
Une workaholic plus très anonyme
Cheffe d’édition au « Monde Diplomatique » de 2007 à 2022, Mona Chollet se décrit – avec euphémisme – comme « plutôt consciencieuse ». Interrogée par « Femme Actuelle », la journaliste explique : « L’aspect robotique du salariat me convenait très bien. Tout comme cette logique rassurante de l’effort récompensé : je me savais le droit de profiter de mes week-ends. » Or, quand le succès de ses livres lui permet de se libérer de cet emploi quotidien, c’est la panique à bord, sur laquelle s’ouvre son dernier essai, « Résister à la culpabilisation » (La Découverte, 2024). Ce « bulldozer » cérébral ajoute : « J’avais oublié l’autonomie. Je m’étais habituée à ce qu’on me dise tous les matins où aller, quoi faire et jusqu’à quelle heure. Organiser soi-même ses journées provoque un grand désarroi. Je me forçais à travailler huit heures par jour et le week-end, pour ne pas me laisser aller (…) Se tuer au travail, faire totalement abstraction de son bien-être, se révèle bien vu. »Bien vu, son propos l’est aussi. Avec un premier tirage de 70 000 exemplaires, « le nouveau Mona Chollet », pour lequel elle refuse les invitations à parler en public, figure déjà parmi les dix meilleures ventes de l’automne. Son livre n’aborde pas seulement la question du sacrifice en entreprise ; parmi ce qu’elle recense comme des « empêchements d’exister », Chollet dissèque les discours misogynes, la mise en accusation des victimes de violences sexuelles, les injonctions éducatives, ou encore « le flicage des mots et des pensées » au sein des sphères militantes.Suivie par 92 000 abonné·e·s sur X, Mona Chollet définit parfois son rapport à l’écriture comme « une drogue en soi, une porte dérobée dans l’horreur de l’époque ». Pour ce troisième et dernier épisode, ouvrons celle du petit bureau – monastique – de la Mona, qui continue de rêver d’une pièce plus grande « dont la fenêtre resterait éclairée jusqu’à une heure avancée de la nuit, pour y faire naître des livres ». L’autrice du mois : Mona CholletNée à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
Enregistrements septembre 2024 Réalisation Charlie Marcelet Mixage Charlie Marcelet Illustration Sylvain Cabot Chant, beatmaking Élodie Milo Musiques originales Samuel Hirsch Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Delphine Saltel Production ARTE Radio
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Mona Chollet (2/3)
Notre sorcière bien-aimée
En 2017, dans le secret nocturne de son laboratoire, Mona Chollet jette dans son chaudron mental les ingrédients de la réhabilitation d’une figure populaire : la sorcière. Publié l’année suivante aux éditions La Découverte, son ouvrage « Sorcières : la puissance invaincue des femmes » se souvient de ces dizaines de milliers de féminicides perpétrés du XVe au XVIIe siècle, en Europe, qui visèrent principalement les célibataires sans enfant. Chollet interroge en profondeur ce « coup porté à toutes les velléités d’indépendance féminine », la « haine » des cheveux blancs, la criminalisation de la contraception et de l’avortement, en s’appuyant autant sur les romans de Toni Morrison que sur le film « Liaison fatale ». Elle y affine son geste : « J’écris pour faire émerger des sujets qui n’étaient parfois même pas identifiés, en affirmant leur pertinence, leur dignité. Je suis une aimable bourgeoise bien élevée et cela m’embarrasse de me faire remarquer. Je sors du rang quand je ne peux pas faire autrement, quand mes convictions et aspirations m’y obligent. J’écris pour me donner du courage. » Abracadabra ! Le livre devient un grimoire de référence traduit en quinze langues et vendu à 380 000 exemplaires. Son nom se mue en incantation. D’où la nécessité d’interroger ses sortilèges, la structure de ses best-sellers qu’elle situe « entre le développement personnel et la politique », son usage des citations ou sa réticence au « terrain », en naviguant des podiums de « Beauté fatale » (sur les clichés véhiculés par l’industrie de la mode et la presse féminine, sorti en 2012 et vendu à 120 000 exemplaires) jusqu’à « Réinventer l’amour » (sur les impasses et les violences des relations hétérosexuelles, sorti en 2021 et vendu à 200 000 exemplaires), en passant par son petit préféré, « Chez soi » (sur « la sagesse des casaniers », sorti en 2015 et vendu à 65 000 exemplaires). Turlututu, chapeau pointu, n’attendons plus : envolons-nous sur le balai de cette sorcière bien-aimée, qui nettoie de nombreuses pensées poussiéreuses ! L’autrice du mois : Mona CholletNée à Genève en 1973, « obsédée par le fait de lire, de s’informer et de changer le monde », la journaliste suisse Mona Chollet est devenue pour toute une génération de féministes un modèle d’intelligence, de sensibilité et de précision. Depuis le début des années 2000, via une dizaine d’essais érudits (« Beauté fatale », « Sorcières », « Réinventer l’amour »), elle analyse remarquablement les mécanismes de domination (masculine, capitaliste, professionnelle – ou les trois à la fois), en partageant son admiration pour la poésie de Mahmoud Darwich ou la prose engagée de Susan Sontag, pour les séries « Mad Men » ou « La Fabuleuse Madame Maisel », le tout entremêlé de confidences personnelles ou tirées de son cercle d’amies. Elle vit et travaille à Paris.
Enregistrements septembre 2024 Réalisation Charlie Marcelet Mixage Charlie Marcelet Illustration Sylvain Cabot Chant, beatmaking Élodie Milo Musiques originales Samuel Hirsch Entretien, découpage Richard Gaitet Prise de son Mathilde Guermonprez Montage Gary Salin Lectures Delphine Saltel Production ARTE Radio
Bookmakers est le podcast littéraire qui écoute les écrivain.e.s détailler leurs secrets d’écriture, les coulisses de fabrication de leurs livres majeurs, leurs méthodes de travail, leurs lectures essentielles. Pendant deux à trois heures, c’est une plongée en profondeur dans le making-of de la littérature.
Tous les deux mois, les plus grandes plumes de la littérature francophone racontent, hors de toute promotion, la naissance d’une vocation, les obstacles, les recherches, le découragement, les coups de collier, la solitude, la première phrase, le dernier jour, les classiques qui ont tout changé dans leur vie, leur culture du mot précis, l’arrivée du livre en librairies, mais aussi le rôle de l'éditeur, de l’éditrice, l’argent, la critique, le public, ou le regard sur le texte des années plus tard.
Animé par Richard Gaitet, écrivain et homme de radio, « Bookmakers » arpente tous les territoires de la littérature – romans, essais, théâtre, poésie, bande dessinée, traduction, édition – en compagnie de personnalités incontournables de la sphère littéraire : Nicolas Mathieu, Nancy Huston, Mohamed Mbougar Sarr, Alice Zeniter, Alain Damasio, Lola Lafon, Wajdi Mouawad, Mona Chollet, Claude Ponti, Chloé Delaume, Hervé Le Tellier, Laura Vazquez, Maria Pourchet ou Dany Laferrière.
Salué par Le Monde, Télérama (4T), Libération ou L'Humanité, premier podcast applaudi d'un coup de cœur du « Masque et la Plume » sur France Inter, « Bookmakers » détruit le mythe de l’inspiration divine qui saisirait les artistes au petit matin. En rappelant que l'écriture est aussi un métier, un artisanat, un beau travail.