Droit, culture et société de la Rome antique - Dario Mantovani
Collège de France
Juriste historien, Dario Mantovani est né en 1961 à Milan (Italie). Sa formation en lycée classique a préludé aux études de droit. Il a parcouru dans différente...
Dario MantovaniDroit, culture et société de la Rome antiqueCollège de FranceAnnée 2023-2024Le corps du droit, « Corpus Iuris ». Imaginer le droit par les métaphores corporelles dans la littérature juridique romaine11 - Les métaphores sont sans finRésuméLes métaphores sont omniprésentes, non seulement dans les textes littéraires, mais aussi dans le langage courant et même dans les langages techniques, dont celui du droit. Elles sont en ce sens sans fin, et multiples aussi les angles sous lesquels on peut les étudier. Pour ce dernier cours de l'année, nous présenterons un bilan de notre exploration des métaphores corporelles, qui ne pourra qu'être provisoire. Nous utiliserons comme jalons les différentes fonctions que les métaphores jouent dans les textes des juristes romains. Dans ce parcours à rebours dans la galerie des métaphores, qu'elles aient été déjà commentées dans les séances précédentes ou ici pour la première fois, un passage de Cicéron (De oratore 3.155-161) nous servira de guide. Et, avec Cicéron, nous poserons aussi cette question : pourquoi les métaphores nous attirent-elles, même lorsqu'elles ne sont pas nécessaires ?
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10 - Juristes au bord des métaphores. Créativité et contraintes du langage juridique
Dario MantovaniDroit, culture et société de la Rome antiqueCollège de FranceAnnée 2023-2024Le corps du droit, « Corpus Iuris ». Imaginer le droit par les métaphores corporelles dans la littérature juridique romaine10 - Juristes au bord des métaphores. Créativité et contraintes du langage juridiqueRésuméDans les textes des juristes romains, nous rencontrons de nombreuses métaphores. Mais étaient-ils conscients de les employer ? Le cours abordera cette question, fondamentale du point de vue de la méthode, en cherchant dans les textes eux-mêmes les signes de l'attitude des juristes. Les indices de leur familiarité avec les métaphores ne manquent pas : les juristes avertissent souvent le lecteur qu'ils sont sur le point d'en introduire une (par quaedam ou quodammodo, « presque », « en quelque sorte »). Deux exemples sont particulièrement illustratifs : la définition du rivage et celle des degrés de parenté. Nous suivrons les différentes définitions du rivage maritime (litus), en observant le refroidissement progressif de leur registre métaphorique (Cicéron, Topiques, 32 ; Cicéron, La nature des dieux, 2.100 ; Iavolenus, D. 50, 16, 112 ; Celse, D. 50, 16, 96). La définition des degrés de parenté proposée par Paul (D. 38, 10, 10) montre, en revanche, la capacité du juriste à exploiter le caractère métaphorique d'un terme désormais lexicalisé (les « gradus » étant à l'origine les marches d'un escalier) pour le rattacher, sans faire semblant, au droit des Douze Tables, c'est-à-dire pour le ramener dans le champ du droit. Constater la conscience que les juristes avaient des métaphores nous invite à considérer que, d'une part, ils ont tendu à garder un style sobre et que, d'autre part, dans les étroites marges de manœuvre que leur laissaient les conventions stylistiques de la prose technique, ils ont profité des métaphores et de leur capacité connotative pour donner de la cohérence à leur argumentation et au système juridique lui-même.
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09 - Corps et esprit : réalités et métaphores de la possession. L'anthropologie vue par les juristes romains
Dario MantovaniDroit, culture et société de la Rome antiqueCollège de FranceAnnée 2023-2024Le corps du droit, « Corpus Iuris ». Imaginer le droit par les métaphores corporelles dans la littérature juridique romaine08 - Mouvements : des volontés qui se rencontrent et des droits qui bougentRésuméLes juristes, comme tout un chacun, philosophe ou homme de la rue, étaient conscients du dualisme constitutif de l'homme, unité du corps et de l'âme (mieux encore, du corpus, de l'animus, la composante rationnelle de l'intériorité, et de l'anima, la composante sensorielle). Ils ont utilisé ce dualisme dans divers contextes, la « corruption » de l'esclave, la vente d'esclaves sur le marché et surtout dans la configuration de la possession. Dans tous ces cas, la donnée anthropologique est déconstruite et remontée selon les besoins du droit, qui se saisit de l'extériorité et de l'intériorité de l'être humain par le langage, notamment par les métaphores. Quand l'homme entre dans le droit, il en sort transformé.
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08 - Mouvements : des volontés qui se rencontrent et des droits qui bougent
Dario MantovaniDroit, culture et société de la Rome antiqueCollège de FranceAnnée 2023-2024Le corps du droit, « Corpus Iuris ». Imaginer le droit par les métaphores corporelles dans la littérature juridique romaine08 - Mouvements : des volontés qui se rencontrent et des droits qui bougentRésuméDonner corps aux idées et les faire bouger dans l'espace est un moyen efficace de représenter et manier des abstractions. Certaines métaphores spatiales et ontologiques sont entrées dans l'usage du langage juridique à tel point qu'elles ne sont plus perçues comme telles. C'est le cas du mot conventio, que le juriste Ulpien explique (Digeste 2.14.1.3) en réactivant le sens originel du verbe convenire, qui signifie se réunir en un lieu en étant partis d'endroits différents. D'où l'utilisation métaphorique de conventio pour signifier la rencontre des volontés des parties contractantes. La même métaphore, spatiale et ontologique (selon les catégories de la linguistique cognitive), est reprise dans les articles 1101 et 1113 du Code civil, relatifs à la définition du contrat. De même qu'Ulpien met en lumière la valeur métaphorique de conventio, lire Ulpien nous permet de saisir la matrice de la définition moderne.Dans d'autres cas la trame métaphorique du langage juridique est plus cachée, plus profonde, plus fondamentale encore. C'est le cas de l'idée du transfert des droits, selon laquelle les droits sont des objets (ou même des personnes) qui se déplacent, passant d'une main à l'autre et emportant avec eux leur physionomie. La lecture d'un autre texte d'Ulpien (Digeste 41.1.20.1) redonne vie à cette sorte de théâtre des droits. Nous retrouvons enfin les mots d'Ulpien en sous-texte d'une page d'Emmanuel Kant : le destin des métaphores est d'en engendrer d'autres, et celui du droit romain de produire des idées, souvent à notre insu.
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07 - S'en prendre au corps du débiteur, des Douze Tables à saint Ambroise
Dario MantovaniDroit, culture et société de la Rome antiqueCollège de FranceAnnée 2023-2024Le corps du droit, « Corpus Iuris ». Imaginer le droit par les métaphores corporelles dans la littérature juridique romaineS'en prendre au corps du débiteur, des Douze Tables à saint AmbroiseRésuméLes Douze Tables, au Ve siècle av. J.-C., réglementaient une procédure appelée manus iniectio (mainmise) : le créancier était autorisé à emmener le débiteur insolvable chez lui et à le garder enchaîné. En l'absence de paiement, le débiteur pouvait être vendu à l'étranger comme esclave, ou son corps découpé en morceaux. La cruauté de la procédure conduisit les Romains eux-mêmes à tenter de la rationaliser, comme le montre le débat (probablement imaginaire) entre le philosophe Favorinus et le juriste Africanus, à l'époque d'Hadrien, rapporté par Aulu-Gelle (Nuits attiques 20.1). Les préteurs ont également conçu la procédure civile d'exécution selon les règles des Douze Tables : l'emprisonnement du débiteur insolvable était encore, à l'époque classique, une possibilité pour le créancier, qui utilisait son corps pour faire pression sur lui et ses familiers et amis, sans pour autant aller jusqu'à la vente comme esclave ou la mise en morceaux du cadavre. La pratique des représailles sur le corps du débiteur a néanmoins survécu jusqu'à la fin de l'Antiquité. Saint Ambroise la mentionne dans son commentaire du Livre de Tobie (10) : des créanciers arrivaient jusqu'à empêcher – illégalement – l'enterrement du débiteur mort afin de faire pression sur les héritiers. L'empereur Justin (Codex Iustinianus 9.19.6) en témoigne également. L'homélie d'Ambroise n'est quand même pas à prendre au pied de la lettre : elle révèle un sous-texte riche en métaphores juridiques et suggère qu'il était un lecteur averti des textes de droit romain et sans doute des Douze Tables.
À propos de Droit, culture et société de la Rome antique - Dario Mantovani
Juriste historien, Dario Mantovani est né en 1961 à Milan (Italie). Sa formation en lycée classique a préludé aux études de droit. Il a parcouru dans différentes universités italiennes (Trente, Parme) une carrière de chercheur et d'enseignant, avant de devenir professeur de droit romain à l'université de Pavie (à partir de 1997).
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